Sur la route entre Ainsa et le tunnel d'Aragnouet-Bielsa, il y a un panneau qui indique le village de Tella et son dolmen. Ce genre de monument est relativement rare dans les Pyrénées, allons donc voir ça de plus près. Quelques lacets plus tard, nous sommes devant ces vielles pierres savamment agencées en bordure d'un chemin. Face au Castillo Mayor, elles regardent passer les siècles.
Tella se trouve un kilomètre plus haut. Il est curieusement bâti à l'abri d'un petit col, tout en longueur contre une sorte de falaise. Les maisons s'agencent de part et d'autre d'une seule rue qui commence à l'église tout en haut à l'entée du village, et devient ensuite sentier en direction des pâturages.
Un autre large sentier démarre de l'église, il s'agit de la route des ermitages. Comment ne pas succomber à la curiosité et à la tentation de la promenade.
Très rapidement nous parvenons à une sorte de col, l’itinéraire bascule sur l’autre versant pour pénétrer dans la forêt. Après une courte descente, nous sommes au pied de Los Santos Juan y Pablos, blotti contre un piton rocheux.
Ici les portes ne connaissent pas les serrures, seul le respect des visiteurs convient à ces lieux.
L’intérieur est constitué d’une seule voûte de pierres.
Une icône est posée sur une banquette de pierre, sans doute l'œuvre et le don d’un fidèle, une statue de la vierge reçoit des fleurs artificielles accompagnées d'ex-voto laissés par les visiteurs.
Derrière le petit autel, une sculpture taillée dans le marbre des Pyrénées doit certainement représenter nos deux saints Juan et Pablos. Ils ressemblent à deux chevaliers. Par un court escalier, nous descendons dans une espèce de crypte toute noire, quelques photos avec le flash ne nous révélerons que de petites niches dans les murs dans lesquelles ont été oubliés des bougies et photophores.
Le chemin nous fait rapidement remonter à un nouveau petit col sur lequel est édifié l'ermita de la Virgen de Fajanillas. D’ici le sentier file directement au village mais il suffit de monter quelques mètres pour atteindre l’ermita de la Virgen de la peña
Une sente caillouteuse se faufile entre les coussins de genêts horribles, ils paraissent accueillants, mais ne sont pourtant qu’aiguilles et épines
Il y a toujours les ex-voto et ces petits papiers vite rédigés, en Espagnol ou en Français qui s’entassent un peu partout, sous les bouquets de fleurs ou sous une pierre. Ils ne me sont pas adressés et mes yeux ne font que les survoler rapidement, assez tout de même pour voir qu’il s’agit de remerciements et de demandes de protection, pour soi même ou pour ses proches.
Je trouve bien jolie la statue de la vierge au-dessus de l’autel. De mon index replié je lui fais un petit toc toc, le son qui m’est rendu m’indique un matériau creux de faible épaisseur, comme un moulage de plastique ou de résine. La représentation photographique de l’originale se trouve à coté dans un sous verre
Avec son clocher, la Virgen de Fanjanillas semble être l’ermitage le plus important, il est tout proche.
Passé la porte d’entrée, nous retrouvons les mêmes témoignages de gratitude et de reconnaissance…
Et surtout, d'une présence inouïe, une petite robe blanche de communiante, accrochée au mur.
Et aussitôt, notre imagination se met à nous raconter une histoire. Oh ce n'est pas une histoire gaie, c’est celle d’une petite fille qui habitait un village perdu dans la montagne. Ni plus sage ni plus dissipée qu’une autre, elle était comme toutes les fillettes de son âge. Entre scolarité et travaux quotidiens, elle recevait aussi une éducation chrétienne. Durant l’hiver précédant sa communion elle tomba gravement malade, ni la médecine ni les prières n’améliorèrent son état. Le jour de la communion arriva enfin, elle était très très faible, mais ce fut pour elle un grand bonheur de se parer de la robe préparée à grands soins par sa maman et de recevoir le sacrement tant attendu. Il n’y eut pas de repas de fête après la cérémonie, exténuée, livide, le regard déjà ailleurs, elle alla se coucher, toute habillée de blanc, comme si c'était la dernière fois. La maman pleurait en silence tout en priant la vierge, espérant une improbable grâce. Le papa secoué de sanglots s’enferma dans la bergerie, plus pour cacher sa douleur que pour soigner les brebis et les agneaux. Bien sur, quand tout sera fini on ira porter la robe blanche à la Virgen de Fanjanillas, cela ouvrira toutes grandes les portes du paradis à l’enfant. Mais n’y vivait-elle pas au Paradis entourée de l'affection des siens dans son village plus environné de ciel que de terres ?
Non, décidément cette histoire n’est pas la bonne, il doit y avoir une autre version.
Donc, dans un village de montagne, grandissait une fillette. Depuis sa plus tendre enfance, sa santé n’était pas très bonne, et se dégradait au fil des ans qui passaient. Il se racontait même, à mots couverts et mines de circonstance, qu’elle ne parviendrait pas à l’âge adulte. Lorsque le temps et surtout son état le permettaient, elle prenait plaisir à aller se balader du coté des ermitages, ce n’était pas bien loin, mais pour elle l’effort était important. Le grand jour longuement espéré de sa communion arriva. Quel bonheur de revêtir la robe blanche, sur sa tête on posa une couronne de fleurs aussi pures que sa robe. Bien que très fatiguée car sa maladie lui avait joué un mauvais tour en s’aggravant les jours précédents, elle n’avait jamais été aussi heureuse. Il lui avait été assez pénible de se rendre à l’église en haut du village, ses chaussures basses à semelles plates n’étaient pas adaptées aux grosses pierres inégales qui pavaient grossièrement la rue, mais son visage était radieux. Après la messe elle redescendit vers la maison, bizarrement, à la surprise de tous, elle ne s’y arrêta point et continua la marche vers les ermitages où elle pria longuement. A son retour en fin d’après midi, elle alla se coucher complètement épuisée, ses joues un peu rosies, avec dans les yeux un éclat inaccoutumé. Le lendemain matin à peine réveillée, elle a demandé un grand bol de lait chaud avec des tartines de gros pain largement beurrées, elle paraissait très en forme. Puis elle est partie avec les brebis dans la montagne. Le long du chemin elle a cueilli des fleurs, autant que ses petites mains pouvaient en contenir. A l’ermitage de la Virgen de Fanjanillas, elle a déposé la plus belle d’entre elles au pied de la statue de la vierge. Puis elle est montée sur l’éminence rocheuse qui domine le village. A son sommet, elle s’est recueillie, les yeux fermés, les mains croisées sur sa poitrine, la tête relevée elle a inspiré à pleins poumons la brise fraîche qui dans ce nouveau matin descendait des hautes cimes, et dans un grand éclat de rire, sautant en l’air, elle a lancé son bouquet de fleurs vers les nuages, la où sa maladie venait de se dissiper. Depuis ce jour-là, en gage de reconnaissance, au mur de la Virgen de Fajanillas est accroché une petite robe blanche.
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Marc Avril 2010